Arina ESSIPOWITSCH

Article de FISHEYE le mag sur l'exposition au Jeu de Paume, Château de Tours
Du 23 juin au 29 octobre, Arina Essipowitsch et Julien Magre sont mis à l’honneur par le Jeu de Paume, au Château de Tours. Deux expositions personnelles consacrées à la photographie, qui déploient une véritable cartographie du sensible.
Depuis 2010, la Ville de Tours et le Jeu de Paume s’associent pour présenter des expositions de photographie qui comportent souvent un caractère patrimonial. Découvrez dès cet été, dans le cadre idyllique du Château de Tours, les deux figures emblématiques de la création européenne contemporaine mises à l’honneur cette année. Explorant toutes deux les notions d’identité et de déplacement, l’œuvre de Arina Essipowitsch, artiste visuelle installée en France et en Allemagne, côtoiera celle de Julien Magre, né en région parisienne, et souvent baptisé par la critique comme le « photographe de l’intime ». Un ensemble qui conjugue art documentaire et poésie intime, où règnent simplicité, et retour aux fondamentaux.

Avec Déplier l’image, Arina Essipowitsch s’est inspirée du fleuve de la Loire et de ses sinuosités, afin d’élaborer un véritable voyage sensible. De ses éléments minéraux et aquatiques à son patrimoine architectural local, l’artiste révèle le paysage de la vallée. Le public est invité à entrer dans un jeu d’exploration tactile, olfactive et visuelle des possibilités physiques de la photographie. À noter qu’une performance in situ sera donnée pour celleux qui auront la chance d’assister au lancement de l’exposition ! Julien Magre, quant à lui, présentera une exposition autrement introspective, mettant en scène sa propre famille, ainsi que « des paysages et des choses minuscules qui m’ont sans doute sauvé la vie », écrit-il en note d’intention. La série En vie, qui permettait à son auteur de remporter l’année dernière le Prix Niépce Gens d’Images, décortique un « étrange et doux sentiment d’appartenance ». Et célèbre, en même temps, plus de vingt ans d’existence. À partir du 23 juin prochain, laissez-vous porter !
Fisheye
source https://www.fisheyemagazine.fr/decouvertes/actu/les-sinuosites-du-reel-se-decouvrent-au-chateau-de-tours/

Jeu de Paume, Château de Tours
S’inspirant du fleuve et de ses méandres, son œuvre invite à voyager dans la vallée, depuis ses éléments minéraux et aquatiques jusqu’à son patrimoine architectural local, qui l’inspirent et la nourrissent. L’œuvre d’Arina Essipowitsch est comme un jeu qui semble vouloir épuiser l’ensemble des possibilités physiques de la photographie, perdant le spectateur dans les échelles, les plis et coupes, passant d’un détail à un autre afin de tenter de restituer l’entièreté d’une histoire sensible et introspective.

À travers ses photographies, l’artiste explore les notions d’identité et de déplacement, liées à son parcours de vie. Ses images saisissent des moments de son intimité avec les surfaces sensibles qu’elle habite : le sable, les rochers, les écorces ou les murs, avec le souhait de les faire perdurer dans le temps.

Ces images plongent littéralement les visiteurs dans la matière photographique qu’elle déploie ou revêt. Les notions de fragment et de temps sont au cœur de son processus artistique. Des tirages plus classiques et une œuvre en anamorphose – un portrait de l’artiste – illustrent cet aspect dans son travail.
À l’issue de la visite, le public peut repartir avec une édition de l’une œuvre pliée, reprenant le principe de FOLD, une œuvre emblématique de l’artiste.

Jeu de Paume, 2023
source https://jeudepaume.org/evenement/arina-essipowitsch-tours/

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Documents d'Artistes Paca
Chez Arina Essipowitsch, la photographie n'est jamais abordée indépendamment du support à travers lequel elle se donne à voir. Au-delà de l'image, l'artiste s'attache à penser les formes autant que la mise en espace de ses représentations. Il s'agit pour elle de penser la malléabilité des photographies, leur perpétuelle mobilité. Dès lors, ses œuvres se développent le plus souvent comme des volumes ou des installations qui peuvent également s'activer lors de performances. Fold, Palimpseste, ou Soft Focus (en collaboration avec la chorégraphe Eva Borrmann), par exemple, travaillent sur les coupes et les plis de deux images grand format qui se déploient pleinement au sol. L'œuvre d'Arina Essipowitsch joue des échelles et de modulations, des rapports du recto au verso et de celui des corps dans l'espace... L'image y est souvent parcellaire, toujours agrandie jusqu'à faire disparaître le sujet. Elle montre des peaux comme des paysages, des paysages comme des abstractions, des textures. Récemment, pour agir à l'endroit de l'espace réel, Arina Essipowitsch a travaillé avec une parfumerie et intégré un parfum à son installation, une nouvelle manière d'affirmer encore la nécessité de l'expérience sensible de l'art.
Guillaume Mansart, 2023
source https://www.documentsdartistes.org/essipowitsch

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Fictions Documentaires
" Pieds nus sur le carrelage, Arina Essipowitsch ouvre un gros livre carré posé à même le sol. Par un jeu de mains habile, elle en déplie les pages comme un leporello à plusieurs bandes : une image noir et blanc apparaît, puis, au verso, une deuxième image se superpose. Devant un public qui retient son souffle, l’artiste déploie des photographies grand format, les fait disparaître, les plie, les déplie pour mieux les réassembler ensuite. La performance Fold a constitué un temps fort de l’ouverture du festival Fictions documentaires à Carcassonne. «Je suis partie de Biélorussie avec une boîte carrée dans laquelle j’ai pu emporter quelques objets. Je ne pensais pas qu’un jour cette boîte allait se matérialiser sous la forme d’un livre d’images et d’une performance», raconte la jeune femme qui a émigré en Allemagne avec sa famille en 2001. Née à Minsk en 1984, issue d’une famille de scientifiques, Arina Essipowitsch, aujourd’hui citoyenne française, a créé ce mystérieux livre-objet qui contient un grand autoportrait. Palimpseste visuel, Fold raconte sa trajectoire et son identité fragmentée. Elle incarne à merveille la mémoire diluée et la plasticité des images. (...)"
Clémentine Mercier, 2021
source https://www.liberation.fr/culture/photographie/festival-de-la-photographie-sociale-fictions-et-documentaire-etonnent-a-carcassonne-20211127_6OJZTOWGMFDNTDUILDQSHOYUGA/

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Allochnonotopie
Les termes « Allochronie » et « allotopie » apparaissent dans Les promesses des monstres, texte où Donna Haraway tente d’échapper à un désespoir philosophique en envisageant l’utopie science-fictionnelle d’un collectif hétérogène où humains et non-humains (animaux, machines…) coconstruisent la nature – qui n’est plus réductible à une propriété, une origine, une matrice, un espace vierge et innocent… Cet inappropriable serait aussi bien le langage, le corps, la nature, d’hier ou de demain.
Avec Victor del (M)Oral Rivera, le langage retentit comme une architecture et le paysage se diffracte dans des fragments de texte. Gestes monumentaux (La Chute du A), performances, le thème de la réversibilité des idées est indissociable d’un jeu de miroir qui est dans l’espace lui-même.
Chez Arina Essipowitsch, l’intimité sensuelle des photographies participe de la constitution d’un récit privé pour la rencontre toujours trouble des corps avec : d’autres corps, des paysages, la lumière, la terre, l’eau… Mises-en-scènes, fictions ou récits sont produits depuis un espace autorial élargi.
-Paul-Emmanuel Odin, 2020
source https://manifesta13.org/fr/projects/allochronotopie/index.html
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Soleil noir
Exposition en noir et blanc ou presque à la Compagnie, où Paul-Emmanuel Odin invite deux artistes récemment sortis de l’école. Histoires d’atomes crochus et de vies qui ne marquent plus de distance avec l’art…
Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier sont liés. Liés l’un à l’autre et liés à la lune. Ils se sont rencontrés aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence et partagent depuis ce lien, que l’exposition Equinoxe vient nourrir encore d’avantage… Elle est photographe, lui explore des contrées du dessin et de la sculpture peu visitées jusqu’à présent. Au Mac Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, le jeune homme parsemait le sol en tomettes de mandalas pyramidaux réalisés à base de sel. A la Compagnie, le rapport au sol est encore présent dès l’entrée de l’exposition avec, cette fois, la trace d’un mouvement rapide, inscrit dans de l’argile blanche, qui se révèle sur le béton ciré noir. Maxime Chevallier s’envisage pourtant comme sculpteur. Il tend entre les deux médiums une corde qui ramène une pratique vers l’autre. Le dessin se libère dans l’espace, s’adaptant aux contingences d’un lieu, tandis que la sculpture est conservée précieusement dans les intercalaires d’un classeur. Il appartient à cette génération d’artistes pour lesquels les clivages entre peinture, dessin et sculpture n’ont plus lieu d’être. Il opère avec délicatesse, tels ses dessins « encapsulés » qui semblent s’évaporer. Il travaille avec parcimonie et rareté, comme le dit Paul-Emmanuel Odin. Les choses commencent d’abord par se taire avant de s’esquisser. Ainsi, dans ces assiettes posées en tension contre le mur, le sable et l’encre noire semblent former des croissants de lune en train de s’éteindre. Le titre évoque plutôt le soleil, mais le soleil noir de l’éclipse, qui, dans le fond de la faïence, entonne les mots du poète :
« Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil. (1) »
Au-dessus sont suspendus sur une corde les négatifs confiés par Arina. On y devine des corps tirés de l’histoire de l’art, mais aussi de vraies personnes. Tout est fragile et éphémère chez Maxime Chevallier. Les choses sont contenues, détentrices de mystères, non révélées. Son monde n’est pas celui de la figure, mais celui des forces qui régissent les lois de la physique. Celles du geste, de la matière, et celles, mentales et morales, qui déterminent ce tout. L’artiste le dit lui-même : il est à la fois le contenant et le contenu. Il est aussi le sujet des photographies d’Arina…
Arina, quant à elle, photographie Maxime et les autres, de nombreux autres… Dans l’installation vidéo Jeu de cartes, il n’est pas question de Cézanne mais, tout comme les joueurs du tableau, Arina et Maxime sont assis à une table. Ils commentent des images familières, visages qui dévoilent les histoires des uns et les secrets des autres. A l’instar de Jess (la décision), où le papier photo grave l’épisode d’une vie. Le moment crucial d’une jeune femme face à une décision que le test de grossesse nous révèle. Le tirage est grand et le sujet grave, mais le tout s’impose au spectateur sans grandiloquence, focalisant sur ses mains et l’objet du questionnement. Arina s’immisce ainsi dans la vie de ceux qui lui sont proches et en fait sa matière, instants de vie placardés sur les cimaises de l’exposition, rébus d’une histoire issue de rencontres, de personnages saisis dans leur intimité, leur spontanéité, leur jeunesse. Tout ici est pour l’art, même l’absence d’un ami dont les idées se troublaient après l’obtention du diplôme et qui lui offre l’une des plus belles pièces de l’exposition, les mots d’un jeune homme qui bascule, à l’image du portrait qu’Arina faisait de lui…
Céline Ghisleri

Notes
Charles Baudelaire – Tristesses de la lune, in Les Fleurs du mal
source https://www.journalventilo.fr/arina-essipowitsch-et-maxime-chevallier-equinoxe-a-la-compagnie/